Notices historiques

Quelques extraits (perles !!!) de » La Maison du Grand-Saint-Bernard, Des origines aux temps actuels, » Lucien Quaglia, 1972.

Une multitude de pèlerins employaient la voie de Mont-Joux. Un grand nombre d’entre eux furent victimes des Sarrasins qui, en 921 et 923, massacrèrent des Anglais allant en pèlerinage à Rome.

Le passage de Mont-Joux au temps de saint Bernard

Le col du Mont-Joux est utilisé non seulement par des pèlerins et des marchands, mais la diplomatie et les guerres y conduisent aussi des personnages marquants, de sorte que l’histoire de ce passage est intimement liée à celle de l’Europe occidentale. Vers le temps où saint Bernard construisait l’hospice, le col fut franchi par plusieurs personnalités qu’il convient de signaler.
Brunon, évêque de Toul, le futur Léon IX, s’acheminant vers le Saint-Bernard, apprit à Ivrée que toutes dispositions avaient été prises aux cluses pour l’arrêter. A l’approche de ce passage, il prit les devants de son escorte comme un voyageur isolé. Les gardes, qui ne concevaient pas qu’un prince de l’Eglise voyageât sans une nombreuse suite, ne soupçonnèrent pas la qualité de ce voyageur et le laissèrent passer. Cette ruse le sauva deux fois.
Devenu pape, après avoir tenu un synode à Pavie en 1049, il traversa le Mont-Joux avec un grand nombre de Romains, ce qu’il fit encore l’année suivante après avoir tenu un synode à Verceil.
En 1049, Foulques, abbé de Corbie et saint Gérault, moine de cette même abbaye, se rendirent à Rome. Celui-ci fit à pied l’ascension du Mont-Joux et de La Cisa.
Le Mont-Joux apparaît toujours redoutable. Telle a été l’impression de saint Pierre Damien, cardinal d’Ostie. Malgré son âge, il fut envoyé par le pape Alexandre II en qualité de légat à l’abbaye de Cluny, opprimée par Drogo, évêque de Mâcon, et traversa les Alpes en été 1063. S’adressant plus tard à l’abbé saint Hugues, il lui décrivit ses impressions : « Lorsque déjà la vieillese m’accablait, à ton ordre, j’ai pour ainsi dire pris mon âme entre mes mains, j’ai gravi les pentes abruptes des Alpes couvertes de neige en plein été et j’ai pénétré jusqu’à l’intérieur des Gaules, non loin de l’Océan ».
En 1065, Anno, archevêque de Cologne, passe le Grand-Saint-Bernard à titre privé et rejoint à Vérone l’armée impériale, qui avait passé le Brenner.
Ibidem p. XXXI-XXXII

Du vin à 2’473 m. d’altitude

Le col du Mont-Joux sert aussi au transport des marchandises. En 1339, le comte de Savoie mande au bailli d’Aoste de lui envoyer à Chillon vingt charges de vin.
Il l’apprécie au point que l’année suivante il en demande cinquante du meilleur qu’on pût avoir.
Le bailli n’ayant pu trouver que trente-huit mulets à Bourg-Saint-Pierre, l’hospice dut en fournir douze. Le vin se transportait dans des outres à dos de mulet.
Ibidem p. 120

Histoire de bombarde

Au cours de la guerre entre le duc de Savoie et le marquis de Montferrat qui avait occupé la ville de Chivasso en 1434, le duc fait passer par le Mont-Joux une bombarde et plusieurs grosses pièces d’artillerie.
Cette audacieuse entreprise, que Napoéon renouvellera en grand quatre cents plus tard, était dirigée par Pierre Masuer, maître d’artillerie.
La bombarde fixée sur quatre poutres fut traînée au moyen de gros câbles sur les rochers couverts de neige. C’était en décembre. Le 26, la bombarde arrive à l’hospice; le jour suivant, deux cent vingt hommes la transportent à Saint-Rhémy avec les autres pièces; le 28, elle est à Etroubles et le lendemain à Aoste.
Cette manoeuvre fut couronnée de succès: Chivasso fut repris par les soldats d’Amédée.
Ibidem p. 118

La Confrérie du Saint-Esprit

Un fait à noter dans la vie paroissiale au XIVè siècle est l’expansion de la Confrérie du Saint-Esprit. Fondée pour hospitaliser les pèlerins, elle s’adonne encore à d’autres oeuvres de charité. Dans chaque paroisse, elle reçoit de nombreuses donations, nomme ses procureurs pour l’administation des biens de la confrérie, tient ses réunions solennelles aux fêtes de la Pentecôte. Ces confréries semblent grouper la plupart des paroissiens et ont été souvent le véritable berceau de la vie communale. On le constate à Lens, à Liddes et ailleurs. A Liddes, la confrérie tient ses réunions de la Pentecôte dans la grange du curé.
Cette grange menaçant ruine, la confrérie et la communauté du lieu s’engagent à la reconstruire à leurs frais aux conditions suivantes: les prieurs et confrères du Saint-Esprit auront la jouissance de cette grange durant six jours à la Pentecôte pour y faire leur « confrérie » et le curé le reste du temps avec charge de maintenir la grange dans l’état où elle lui sera remise. En 1474, Pierre Darbellay, curé de Liddes, se libère de cette servitude en payant dix florins que Jean « Borgesii », syndic de Liddes, et Jean Albi, prieur de la Confrérie du Saint-Esprit, affectent à l’acquisition d’un autre local pour la confrérie. La Confrérie du Saint-Esprit et la communauté de Liddes sont étroitement liées l’une à l’autre; c’est que là, comme ailleurs, la confrérie est l’embryon de la vie communale.
Ibidem p. 124

Chèvres et forêts

En 1335, le prieuré de Saint-Bénin est en controverse avec la collégiale de Saint-Ours au sujet du droit de pâture sur les alpes de Vervey et de La Lechère, propriété de la collégiale dans la vallée de Valpelline. Le litige est soumis au jugement du sire de Quart qui a juridiction jusqu’au sommet de cette vallée. Le seigneur se rend au hameau de La Lechère, entend des témoins le 23 août 1335 et conclut que le prieuré de Saint-Bénin ne peut conduire son troupeau sur ces alpes, sauf les chèvres en certains endroits depuis la Saint-Jean à la Sainte-Madeleine.
Le prieur de Saint-Bénin, Emeric d’Arces, a affaire en 1399 avec la même collégiale. Ce prieur prétendait avoir des droits sur les bois des îles de Quart et de Brissogne et y avait fait des coupes importantes. Berthod de Nus, prieur de Saint-Ours, dépose plainte au tribunal du bailliage vu que ces îles avaient été concédées à son chapître.
Les témoins déposent que ces îles avaient appartenu aux seigneurs de Quart, puis au comte de Savovie et enfin à la collégiale de Saint-Ours. Ils déclarent encore que le prieur de Saint-Bénin avait frappé de son épée le garde-forestier et proféré des menaces injurieuses à l’égard de la maison de Savoie. Le bailli entend encore le prieur de Saint-Bénin, le procureur du comte, Hugonin Taride, examine les pièces produites par les parties et prononce le jugement : Le chapître de Saint-Ours est maintenu en possession de ces îles, le bois emporté doit être restitué et plusieurs accusés sont condamnés à soixante sous d’amende pour s’être portés à des voies de fait. Le prieur Emeric perd donc le procès. Remarquons qu’il est bien de son temps, ce prieur Emeric d’Arces, parent du prévôt, pourvu d’un riche bénéfice, avide d’en tirer le plus grand revenu et prompte à tirer l’épée qu’il porte au côté.
Ibidem p. 126

1452 : Un Chanoine . . . marié.

Il y a ordinairement à l’hospice quelques novices qui viennent de la vallée d’Aoste ou du Valais, mais parfois de bien plus loin tel un certain Conrad Schelin de Massevaux (diocèse de Bâle).
Etant marié, le 22 juin 1452, il se présente avec son épouse, Jeannette de Fribourg, à son évêque et lui demande l’autorisation de prendre l’habit de Saint-Bernard du Mont-Joux et de recevoir les ordres. L’épouse interrogée donne son consentement et l’évêque accorde à Conrad la dispense sollicitée. Conrad se rend alors à l’hospice et, en considération de la sainteté de ce lieu et des mérites que religieux et serviteurs peuvent y acquérir chaque jour au service de Dieu et des pauvres, il demande au chapître de le recevoir au nombre des religieux. Ses voeux sont exaucés. Alors le Frère Conrad promet d’être fidèle et obéissant au prévôt, à l’ordre et au chapître, et de leur éviter tout dommage. Après cette déclaration, le chapître lui délivre une attestation d’aptitude à recevoir les ordres. Cette vocation peu banale révèle l’attrait qu’exerçait sur les âmes généreuses la belle oeuvre du Mont-Joux.
Ibidem p. 172

Légendes sur les origines de l’hospice

Guillaume Morard, vicaire général de Jean de Grolée, a laissé un écrit curieux, daté du 5 mars 1540, où il relate les croyances populaires de ce temps sur l’hospice.
Cet établissement est appelé maison sainte et tabernacle du paradis parce que personne ne l’a vu bâtir, les anges l’ayant construit en une seule nuit avec l’aide de saint Nicolas et de saint Bernard; le démon habitait en ce lieu et emportait un passant sur dix pour se baigner dans son sang; saint Bernard a enchaîné le démon dans une caverne ténébreuse où on le voit et l’entend.
Ces légendes flattent le goût de l’époque pour le merveilleux, donnent de la vogue à saint Bernard et attirent de nombreux curieux à l’hospice.

Même les chanoines vivant éloignés de l’hospice lui manifestent de l’attachement. Tel fut Théobald Juli, prieur de Branches (diocèse d’Auxerre), qui donna à l’église du Mont-Joux, entre les années 1449 et 1459, des chapes, des étoles et d’autres ornements.
En note : Ces croyances sont un écho des légendes de saint Bernard, qui se sont largement répandues durant le XVè siècle. La caverne ténébreuse où le diable aurait été enchaîné pourrait s’identifier avec l’actuelle grotte de Saint-Bernard. Il y a une soixantaines d’années (env. 1910), les domestiques de l’hospice allaient parfois s’y cacher en agitant des chaînes pour faire croire aux naïfs que c’était le démon.
Ibidem p. 168