Congrégation du Gd-St-Bernard / Patrimoine culturel

Archives - Documents endommagés

Usures et dommages dans les documents d'archives

En octobre 2003, nous avons mandaté M Andrea Giovannini pour effectuer un rapport d'expertise sur les archives et les autres biens culturels de la Congrégation du Grand-Saint-Bernard. Il s’avère que les cartons, les chemises et les fourres qui ont été utilisées pour ordonner les anciennes liasses en utilisant le classement vertical ont été fabriquées en carton et papier acides, qui détruisent les documents qu’il sont censés protéger. Ainsi un projet de reconditionnement des archives est à l'étude, qui changeait les cartonnages des archives et mettrait à plat, dans des boîtes ad hoc les documents scellés. Dans les travaux de sondage sur la conservation des documents scellés, nous avons trouvé une série de dommages de deux ordres, chimiques (acidité des encres qui rongent les documents) et mécaniques. Nous allons illustrer quelques dommages mécaniques :

a. Le feu



Après un incendie, il ne reste habituellement que des cendres qui sont jetés car ils ne donnent plus aucune indication sur le contenu des documents qui ont brûlé. Nous avons la chance d’avoir un document qui a été sauvé des flammes et en porte encore les traces. Il s’agit de la collation (nomination à un poste du point de vue temporel) de la cure d'Orsières au chanoine Nicolas Dextrand par le prévôt Philibert de la Forêt, le 11 mars 1544 (AGSB 3612).



Au sommet du parchemin, nous repérons par endroit un petit filet brunâtre, indiquant que les flammes ont léché cet écrit.
Le document est tâché de gras par des formes ovales, car lors de cet incident, il devait être plié avec le sceau au centre du document. Comme la température a augmenté, le sceau a commencé à se liquéfier, tachant le document, puis quelqu’un l’a probablement sauvé de la destruction totale. Remarquons que le sceau du prévôt, bien qu’en partie fondu est encore lisible. Cela est dû à son procédé de fabrication. Ce n’est pas un sceau comme nous les imaginons avec un gros bloc de cire, mais un sceau plaqué sur laque, ce qui veut dire qu’un papier a été mis sur la cire chaude au moment de le faire, ainsi l’empreinte est laissée sur le papier et sur la cire. Au moment de l’incendie, la cire a perdu sa forme, mais le papier l’a gardée. Lorsque le document a été retiré des flammes, la cire s’est durcie et a pris la forme que lui indiquait encore vaguement le papier.




b. Les rongeurs



Les rongeurs sont un désastre lorsqu'ils s’attaquent aux parchemins ou aux papiers. En peu de temps leurs dents expertes font des dommages irréversibles. Nous avons comme bel exemple de leur travail la lettre exécutoire du pape Paul II (20 juin 1465) qui demande au prieur de Ripaille qu’il fasse donner la collation du prieuré de Martigny au chanoine Nicod Morard, âgé de 19 ans et qui était à ce jour, recteur de l’hôpital Saint Bernard de Genève (AGSB 3913).
Cette lettre était conservée comme elle a été envoyée, c’est à dire pliée. Les souris sont venues, elles ont grignoté ses angles, ainsi lorsqu’on l’ouvre pour la lire, on y repère 10 trous correspondant au déjeuner d’un souris. Actuellement les documents sont conservés dépliés, ce qui diminue le nombre de trous en cas d’attaque par les rongeurs.




c. Les malversations volontaires
Les animaux à deux pattes sont les plus dangereux. En effet, les rongeurs s’attaquent aux documents les plus proches d’eux et grignotent n’importe où, tandis que les hommes font disparaître des documents ou des parties de documents qui les gênent, afin d’en tirer un profit. Le 22 juin 1368, le pape Urbain V a délivré une lettre gracieuse en faveur de la Congrégation des chanoines du Grand-Saint-Bernard pour l’exempter de toute taille (AGSB 229/1). Autrement dit, c’est le droit de ne pas payer certains impôts. Une personne qui n’était pas heureuse de cette décision est venue avec un scalpel pour découper une partie du document. Il a probablement enlevé une exemption d’impôts qui avait lieu sur ses terres. Comme il s’agit d’un document ayant le sceau pontifical, il n’a pas oser le voler ou le faire disparaître totalement, de peur d’une excommunication. On comprend pourquoi les archives sont conservée avec soin !




d. La ficelle rompue
Ce qui fait la validité d’un acte juridique scellé, c’est le lien qui existe entre le document et son sceau. Lorsque les deux éléments sont séparés il est possible de contester la valeur juridique de l’acte lui-même. Ce n’est plus un document indiscutable. Les ficelles peuvent se rompre pour de multiples raisons, dont leur usure (utilisation fréquente du document lors de frictions ou de procès), des conditions de conservation médiocres (trop grande humidité, rongeurs, insectes, frottements) ou de malversations volontaires (en cas de documents contestés).



La lettre exécutoire du 21 décembre 1414, donnée à Constance par l’antipape Jean XXIII fait partie de ces documents dont la ficelle est rompue, mais le sceau conservé. Le pape mandate les abbés de St-Antoine de Vienne, de St-Ruf hors les murs, de Valence et de St-Maurice d'Agaune, afin qu’ils veillent à ce que l’exemption accordée aux chanoines du Grand-Saint-Bernard soit observée rigoureusement. En effet. En 1411, le pape accorde une énorme faveur à la Congrégation du Grand-saint-Bernard, il la place sous son autorité immédiate (AGSB 239). Cela signifie que les divers évêques ne peuvent plus intervenir dans ses affaires internes. Cela n’a pas dû leur plaire et fort probablement qu’un de leurs amis est venu couper le lien qui existait entre ce document et son sceau pour en contester la valeur juridique. Nous voyons sur l'image le sceau avec sa ficelle coupée, et le pli du fond du document est déplié, laissant voir à double les deux trous qui permettaient à la ficelle de retenir le sceau (comparer avec le document précédent pour comprendre la manière de passer la ficelle).

e. La surcompression des sceaux



Au cours des derniers siècles, les documents étaient classés en liasses, c’est à dire en tas de documents liés entre eux par des ficelles. Durant les transports ou pendant la saison chaude, la température pouvait monter dans ces liasses, et ramollir les sceaux.
Si les liasses étaient trop serrées, cela obligeait les sceau à changer de forme, à perdre petit à petit leur empreinte, à devenir plats. Le 29 août 1471, le vicaire général (en remplacement du prévôt) et le chapitre du Grand-Saint-Bernard font une sorte de location à perpétuité d’un fief (AGSB 1363/2). Aux document sont appendus les sceaux du prévôt François de Savoie, encore lisible, et celui du chapitre, très aplati en raison de surcompressions.

f. Les chocs et l’effritement des sceaux



Si un document scellé avec de la cire tombe par terre ou si, dans une liasse, il subit une surcompression qui tend à le plier et que survient un choc, il se brise. C’est ce qui est arrivé au plus ancien document ayant un sceau de cire pendant. Il s’agit d’une donation des alentours de 1154. Henri, compte palatin de Troyes donne la moitié du péage des toiles qui se vendent à Provins à l’église du Grand-saint-Bernard (AGSB 4696).




g. Le trop grand format des documents



Le concordat entre l’évêché de Sion et la Prévôté du Saint-Bernard au sujet de leurs juridictions respectives sur les paroisses desservies par les chanoines du Grand-Saint-Bernard est rédigé en 1606 sur un parchemin de 63,2 x 90,7 cm (AGSB 3036).
Comme ce format est un peu grand, il est obligatoire de plier le document pour le ranger, mais voilà, il contient quatre sceaux, ceux du bailli, de l’évêque de Sion, du prévôt et du chapitre du Grand-Saint-Bernard. Avec le temps, lors de rangement, le document se plie à l’endroit où se trouvent les sceaux, qui sont depuis lors dans un triste état de conservation.




h. Une manutention non appropriée
Les documents comprenant plusieurs sceaux s’abîment souvent lors de manutentions. Nous pouvons voir ce processeur dans le concordat qu’ont établies en 1199 l’église de Sion et la prévôté du Grand-saint-Bernard (AGSB 3020).



Suite aux récriminations des chanoines de Sion, le Prévôt avait remis à l’évêque les paroisses de Martigny, Sembrancher, Orsières, Liddes et Lens. A la prière de dignitaires ecclésiastiques, l’évêque de Sion remet alors ces mêmes églises à la prévôté, avec le consentement de son chapitre, moyennant une certaine somme d’argent. Le sceau de l’évêque est endommagé, celui du chapitre de Sion est totalement effacé. Dans ce document, nous voyons, outre les sceaux, une belle manière supplémentaire d’authentifier cet acte. A gauche, nous voyons le fond des six premières lettres de l’alphabet, ABCDEF. L’autre document, à l’usage de l’église de Sion, avait le même document, mais à sa droite le sommet de ces mêmes lettres. Ainsi, en cas de discussions postérieures sur le même sujet, chaque partie venait avec son document, ils étaient mis côte à côte pour vérifier qu’aucune partie n’avait introduit des modifications unilatérales ou falsifié le document.

Chanoine Jean-Pierre Voutaz, août 2004